Journal de bord La Ciotat – Barcelone
Départ de La Ciotat le mardi 24 mai 2022 vers 13h. Nous sommes quatre sur le bateau : deux skippers et deux novices. On sera contents d’avoir deux skippers plus tard.
Nous arriverons à Roses en Espagne le lendemain à 9h. Dès le départ, les vagues se font plus grosses à mesure qu’on rejoint le large. Marseille s’efface derrière nous, et à ses falaises sublimes se substitue la nausée. Ça monte d’un coup, et ça ne partira pas avant le lendemain midi. Il paraît qu’il y avait des médicaments à bord pour atténuer le mal de mer, malheureusement mon état était tel que je n’ai même pas pensé à en demander. J’ai surnommé Bobbie le seau qui m’accompagna vaillamment durant toute la traversée.
J’ai écrit quelques phrases dans ma tête à la tombée de la nuit, que je me suis répétées comme un poème jusqu’à les écrire une fois à terre : « Les vagues comme des géants qui tapent du pied. Le froid est supportable, la galère pour aller pisser aussi, la pluie aussi. Tout ça fait partie du jeu. Ce que je trouve vraiment insupportable, et qui gâche mon plaisir d’être ici pourtant intact sinon, c’est le mal de mer. »
Descendre dans la cabine était impossible tant les secousses donnaient la gerbe. Je suis resté sur le pont jusqu’à deux heures du matin quand, épuisé et trempé, j’ai dû me résoudre à rentrer. Les bancs en bois du cockpit étaient trempés à cause des vagues. En cas d’orage : pantalon de pluie obligatoire. Balthazar m’a gentiment installé un matelas dans le carré, la petitesse de ma cabine m’étant insupportable dans cet état. Je me suis rappelé les mots de Yorick en m’allongeant là : « laisse-toi bercer ». Au début je me disais Mais comment ça « bercer » ? On n’a pas la même notion de ce qui est « berçant », là on peut pas faire un pas sans s’accrocher à au moins deux meubles. Et finalement, j’ai trouvé le truc. C’est un peu comme les sports de glisse : le skate, le snow, le surf. C’est un glissement subi, mais qu’il faut quand même apprendre à maîtriser. Quand on surfe une vague, il faut se pencher en avant, suivre le sens de l’eau ; dès qu’on part en arrière sur son snow, on se pète la gueule ; et bien en bateau c’est pareil. Les conséquences sont moins tangibles (nausée qui monte, mal de crâne…), mais l’idée est la même : quand on résiste le courant, c’est encore pire. Il faut essayer de se caler, de bouger au même rythme que le bateau.
Nuit d’orage donc. Très intense, mais aussi dans le bon sens du terme. J’attendais avec impatience qu’on ne voit plus la côte. Je pensais que ce serait un symbole important : on ne voit plus la terre. Mais en fait non. En fait quand on est au large, arrive un moment où on sait qu’on est de toute façon trop loin ; et c’est ce trop loin qui immerge dans l’expérience du large, pas le bout de falaise qu’on distingue encore à l’horizon.
Il y a l’aventure aussi. Allongé dans un coin du cockpit, trois étoiles de la Grande Ourse qui dépassent du toit, j’ai pensé à Rimbaud.
« Y a un truc qu’a sauté ! je m’écris vers 1h du mat.
– Là ! » Cette fois Yorick l’a vu. Trop petit pour être un dauphin selon moi, on ne saura jamais ce que c’était. Mais nous partageons la mer, ça fait toujours quelque chose de le constater en vrai.
Nous ne sommes que quatre à bord, le sel de la nuit a le goût de l’aventure. Je me dis : je ne suis pas censé être ici. Ce n’est pas une expérience dans laquelle on se projette forcément, qui paraît presque incontournable comme aller en Espagne quand on est français ou faire un Erasmus à la fac. Non, prendre le large au XXIème siècle, quand on n’est pas marin, c’est rarement sur notre route. Et c’est justement ce contour par le dispensable qui donne à la mer toute sa saveur.
La traversée a été très rude. Des circonstances pareilles révèlent la qualité de l’équipage, qui ne fut pas des moindre pour cette fois. Entre Balthazar qui m’a fait un lit dans le carré, Yorick qui a fait à manger pour tout le monde et Frédy qui, plus tard, les suppliait de manger un bout de chocolat pour ne pas tomber en hypoglycémie, la générosité n’a pas manqué à l’appel. Un bon orage nocturne : rien de mieux pour la cohésion d’équipe.
En arrivant au port, un tonto n’a pas été ravi de se voir rayer la coque de son yatch. L’assurance s’en chargera, tout le monde à la douche. Le mal de terre commence à frapper, et malgré tout une sensation d’accomplissement tout aussi tenace. Nous resterons presque deux jours à terre, pendant lesquels Frédy et moi visiterons le superbe village de Cadaqués.
Précision importante : nous mangeons très bien. Je pensais qu’à bord, ce serait pâtes et puis basta, mais finalement c’est plutôt dhal, hachis parmentier et couscous. On s’organise pour préparer les repas au port avant de partir naviguer, et on réchauffe les restes en mer. Le programme est toujours assez dernière minute à cause de la météo, mais ça joue parfois à notre avantage, comme pour moi qui aurai l’occasion de visiter Figueres demain avant de repartir.
Noah